Protégeons notre liberté d’expression !

Posté le 3 novembre 2011

Incendie de la rédaction de Charlie Hebdo : protégeons notre liberté d’expression !

 

L’incendie, hier matin, de la rédaction de Charlie Hebdo, après que l’hebdomadaire ait publié un numéro spécial baptisé «Charia Hebdo» dans lequel figurait, en couverture, une caricature de Mahomet, sous des traits sympathiques, contrairement à ce qui s’est déjà produit ailleurs, a ému tous les citoyens attachés à la liberté d’expression.

 

La veille, sur un plateau de télévision, le rédacteur en chef du journal minimisait les risques de réaction agressive à cette couverture et à ce numéro. Il a appris à ses dépens, malheureusement, que les risques n’étaient pas aussi faibles que ce qu’il voulait bien le croire.

Deux argumentaires s’opposent concernant cette actualité, qui ne doit pas se retrouver dans la rubrique ‘Faits divers’, mais bien dans les pages ‘Choix de société’, ‘Questions importantes sur l’avenir de notre société’, ou que sais-je encore ; bref, ce fait a une grande importance sur la façon dont on conçoit notre société occidentale au XXIsiècle.

 

Le premier argumentaire évoque une provocation. Connaissant la sensibilité des Musulmans sur la question, disent les tenants de ce discours, et sachant que la représentation du prophète Mahomet est blasphématoire ou considérée comme telle par de nombreux croyants, il fallait éviter, sinon d’écrire sur le sujet, à tout le moins de publier une couverture dont on pouvait aisément imaginer qu’elle allait vexer une partie de la population.

Qu’il s’agisse d’une caricature bienveillante, comme celle de cette semaine, ou d’une caricature moins politiquement correcte à l’image de celles publiées dans le journal danois Jyllands-Posten en 2005, il est des personnes pour affirmer que toute représentation est un scandale et qu’il faut les interdire, que ce soit par la voie judiciaire ou par des moyens plus expéditifs.

 

Le second argumentaire protège la liberté d’expression à tout prix. À tout prix, certes, mais pas sans exceptions, qui sont prévues par la loi, exceptions qui en l’occurrence doivent être appréciées par un tribunal, contrairement, bien souvent, à ce qui se fait aux Etats-Unis, où ce droit inscrit dans le Bill of Rights domine beaucoup d’autres sans souffrir de tempéraments.

Ainsi, chez nous, la diffamation, le droit à la protection de la vie privée, la répression du négationnisme ou du racisme, par exemple, sont autant de restrictions à ce droit «sacré» dans nos démocraties occidentales.

La liberté d’expression (et de la presse, corollaire évident), donc, est protégée, par la loi, par la justice, laquelle justice, en France précisément, a consacré la liberté éditoriale dans une affaire traitant — déjà — de caricatures sur Mahomet : selon le jugement, la représentation de Mahomet (ou de quelconque personnage religieux) n’est pas interdite, pas plus que l’emploi de la dérision ou de la critique ; seuls les amalgames sont punissables (tel le turban en forme de bombe), au cas par cas.

Sans justement vouloir faire d’amalgame, de généralisation ou de stigmatisation, les Musulmans — puisqu’il s’agit d’eux in casu, mais cela vaut pour tout un chacun, qu’il soit responsable religieux (Monseigneur Léonard, par exemple), croyant, responsable politique (de n’importe quel bord), syndicaliste (idem), justiciable (on peut penser au couple Sagawé, à l’époque) — doivent accepter les règles des pays qui ne sont pas de culture islamique, y compris celles qui heurtent directement leur foi, tant qu’elles ne heurtent pas leur foi de manière ciblée et délibérée.

Je ne suis pas sans savoir, ou à tout le moins j’ose espérer, que la majorité de ceux qui vivent en Belgique, en Europe, qu’ils soient de nationalité belge (ou d’autre pays européen) ou non, acceptent cet état de fait, voire rigolent ou sourient et réfléchissent avec nous de ces caricatures, dessins, représentations, humoristiques, satiriques, politiques. Bref, qu’ils cultivent, tout comme nous habitués depuis longtemps à cette culture, cette séparation entre le cadre temporel et le cadre spirituel mais aussi entre l’espace public et l’espace privé.

 

Il va donc sans dire, après ce que je viens d’énoncer ci-dessus, que je récuse totalement le premier argumentaire. La provocation fait partie de notre culture et de nos libertés, elle est une chance. Si on ne peut plus s’attaquer aux religions, à toutes les religions (car qui ici peut affirmer que la religion catholique, par exemple, est épargnée dans les médias ou la religion juive chez les humoristes ?), demain on risque de ne plus pouvoir s’attaquer non plus aux politiques, aux juges, aux médias eux-mêmes, ou à qui que ce soit ! C’est donc ni plus ni moins l’essence de notre liberté, de nos libertés, qui serait remise en cause si l’on venait à accepter les arguments de ceux qui disent, en filigrane, que Charlie Hebdo «n’a que ce qu’il mérite».

Les limitations prévues dans la loi et mises en oeuvre par les cours et tribunaux sont plus que suffisantes et protègent déjà efficacement les individus ou les groupes d’individus qui se sentiraient injustement visés ou stigmatisés par un article, une déclaration, une séquence, une photo, un dessin.

Ces limitations, par ailleurs, sont les mêmes pour tous les citoyens de notre pays, qu’ils soient catholiques, protestants, orthodoxes, juifs, sunnites, chiites, bouddhistes, ou laïques, wallons, flamands, bruxellois, germanophones, hommes, femmes, homosexuels, hétérosexuels, bisexuels, transsexuels, de gauche, de droite, du centre… bref, chacun est protégé par notre droit, et il n’y a pas lieu de faire de cas particulier pour les Musulmans, à la seule raison que le Coran ou tout autre texte sacré interdirait la représentation du prophète (tout comme Dieu n’est pas «matérialisé» physiquement dans la religion juive), alors que d’autres religions autorisent la représentation de personnages saints.

 

Je le répète, toutefois je suis certain que beaucoup de Musulmans que nous connaissons et fréquentons sont peinés par l’incident et l’incendie. Cet acte jette sur eux des regards désapprobateurs, des réflexions exagérées et haineuses, alors qu’ils ne partagent aucunement l’opinion de ceux qui ont commis cet acte criminel, et encore moins les méthodes employées.

 

Très attaché à la problématique de l’intégration, mais avec une vision positive de celle-ci, je souhaite de toutes mes forces que dans chaque foyer de Belgique et de Verviers, les familles de quelque obédience que ce soit parlent de cet incident, et que les parents (ou que les enfants expliquent aux parents) expliquent à leurs enfants comment notre société fonctionne, pourquoi elle protège certains droits, et quel est leur intérêt à respecter les grands principes qui régissent notre société.

 

 

Maxime Degey
Echevin de la Ville de Verviers

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